Un conflit agraire aux confins de l'Amazonie suscite l'inquiétude des militaires brésiliens
"Nous faisons confiance à la Cour suprême, parce que ces terres ont toujours été occupées par des Indiens, et qu'elles sont donc à nous", explique Jacir de Souza. Cet Indien du peuple Macuxi vit sur la réserve indienne Raposa Serra do Sol, dans l'Etat du Roraima, une terre de discorde aux confins du Brésil, du Venezuela et du Guyana.
Le destin de 14 000 Indiens de cinq ethnies différentes est suspendu à la décision des juges de la haute cour, qui doivent statuer sur la légalité de la démarcation de leur réserve de 17 000 km2, avant la fin du mois d'août. Au Brésil, 480 000 Indiens vivent encore selon leurs coutumes et traditions, dans les 616 réserves concédées par le pouvoir fédéral. Ces territoires s'étendent sur 15 % du pays, essentiellement en Amazonie.
Toutefois, la Raposa Serra do Sol, homologuée par le président Luiz Inacio Lula da Silva le 15 avril 2005, après un long processus conduit durant vingt ans par la Fondation nationale de l'Indien (Funai), continue à être occupée par des fermiers. Six planteurs de riz, emmenés par l'un d'eux, le politicien Paulo Cesar Quartiero, tiennent 15 000 hectares et refusent de les abandonner.
En avril, lorsque la police fédérale a reçu l'ordre d'évacuer des lieux les "non-Indiens", les fermiers et leurs employés dont certains sont Indiens et métis, ont violemment affronté les forces de l'ordre. La Cour suprême a alors suspendu l'opération d'évacuation, en acceptant d'examiner un nouveau recours du gouverneur du Roraima, qui conteste la création de la réserve dans son Etat, peuplé de 390 000 habitants, dont 10 % d'Indiens.
SOUVERAINETÉ NATIONALE
Le gouverneur José de Anchieta affirme que le territoire intéresse "les grandes puissances", présentes en Amazonie à travers des organisations non gouvernementales, et il défend les fermiers, car leurs plantations représenteraient 6 % du produit intérieur brut du Roraima. La plupart des élus locaux contestent le périmètre de Raposa Serra do Sol, qui fait que 46 % de l'Etat du Roraima est constitué par des réserves indiennes. Le jour de l'homologation de la réserve, le gouverneur avait décrété plusieurs journées de deuil.
Les opposants sont aujourd'hui soutenus par des militaires. En pleine opération de la police fédérale, le commandant de l'Amazonie, le général Augusto Heleno, a mis en cause "la politique gouvernementale envers les Indiens, lamentable pour ne pas dire chaotique", et laissé entendre que la Raposa Serra do Sol, où l'armée de terre déploie son 6e peloton frontalier, menace la souveraineté nationale. Le droit à l'autodétermination, reconnu aux peuples indigènes en 2007 par les Nations unies, ouvrirait la voie au séparatisme. Aux limites du Brésil et de la Colombie, ou du Venezuela, il existe pourtant deux immenses terres indiennes, celles des Tucano et des Yanomami, où aucun problème menaçant l'intégrité du territoire n'a été signalé.
A Rio de Janeiro, le président du Club militaire, association de l'armée de terre, le général du cadre de réserve Gilberto Figueiredo, explique que les militaires défendent une philosophie : "Il faut intégrer les Indiens à notre société ; notre histoire est celle du métissage, la politique de démarcation de la Funai va contre les intérêts de la nation et elle doit être interrompue."
Le ministère de la justice, chargé de la politique à l'égard des Indiens, a multiplié les réunions entre les acteurs du dossier. "Les Indiens sont victimes des mêmes préjugés depuis la colonisation et un avis défavorable sur la Raposa Serra do Sol remettrait en cause l'existence de toutes les réserves indiennes", estime Paulo Maldos, membre du Conseil indigène missionnaire, lié à l'Eglise catholique, qui s'est rangée du côté des Indiens.
Annie Gasnier
Source: Le Monde 8 août 2008
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